Combien coûte un centre de santé municipal ?

Le budget de fonctionnement d'un centre municipal de santé de 3 médecins présente en moyenne un déficit de 100 000 € par an qui doit être équilibré par une subvention annuelle de la commune. Cela résulte d'une durée du travail moindre pour les médecins salariés que pour les médecins libéraux et permet de comprendre pourquoi ces derniers demandent une forte revalorisation du tarif de consultation. Ces 100 000 € représentent environ 1 % des recettes annuelles de fonctionnement de la ville du Croisic et moins que la part croisicaise de la taxe sur les éoliennes en mer qui s’ajoute à ces recettes.

1 - Ce déficit moyen est constaté dans les budgets de fonctionnement disponibles dans le zoom sur 9 centres municipaux de santé

Pour les dépenses :

  • Les charges de personnel représentent environ 90 % des dépenses,
  • Les salaires des médecins semblent compris entre 70 000 € et 90 000 € bruts par an et semblent souvent calés sur la grille hospitalière,
  • Dans les charges générales, la part des loyers, pas souvent identifiée, peut expliquer les grandes variations entre centres municipaux de santé.

Pour les recettes :

  • Les honoraires des consultations représentent 60 à 70 % des recettes,
  • Les financements CPAM représentent généralement 15 à 25 % des recettes, sauf à Saint Brévin où ils ne font que 6 %, ce qui semble être une anomalie ; ils comprennent :
    • Le dispositif Teulade : remboursement de 11,5 % des cotisations patronales des personnels de santé des centre municipal de santé
    • La rémunération forfaitaire de l’accord national des centres de santé (accès aux soins, travail en équipe/coordination, système d’information)
    • Le forfait patientèle (en fonction du nombre et des caractéristiques des patients ayant déclaré le centre municipal de santé comme médecin traitant)
    • La rémunération sur objectif de santé publique (ROSP) : rémunération supplémentaire aux médecins acceptant de faire évoluer leur pratiques sur certains critères aussi bien médicaux qu’économiques : on parle de paiement à la performance.

Tous ces centres municipaux de santé sont gérés dans le cadre d’un simple budget annexe du budget municipal, sauf un cas (L’Huisserie où le centre municipal de santé est géré dans le cadre du budget principal, avec une comptabilité analytique).

Presque tous ces centres présentent un déficit annuel récurrent de l’ordre de 100 000 €, à l’exception notable de Batz sur mer et Saint Brévin qui sont équilibrés en 2022-2023.

Les budgets d’investissement des centres municipaux de santé sont marginaux par rapport à ceux de fonctionnement et représentent 50 000 € à 80 000 € sur leur durée de vie. Les investissements immobiliers sont très variables et sont portés par les communes ; ils se retrouvent plus ou moins sous forme de loyer dans les charges générales de fonctionnement.

2 - Ces chiffres tirés du zoom sur 9 centres sont corroborés par 2 études nationales

Ces 2 études sont un rapport de 2021 de l'ANAP (agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale) « Centres de santé pluriprofessionnels - Leviers et bonnes pratiques organisationnelles en faveur de l'équilibre économique » (désigné par rapport 1 dans la suite du texte) et un rapport de 2021 de l’institut Jean François Ray, de la Banque des Territoires et de la Caisse des Dépôts sur la dynamique de création des centre de santé sur le territoire français entre 2017 et 2021 (désigné par rapport 2 dans la suite du texte). Les ratios recueillis peuvent être utiles pour construire le budget prévisionnel d’un nouveau centre de santé.

2.1 - Considérations générales sur l’équilibre des budgets (extrait du rapport 2)

« Entre 20 et 25 % de recettes forfaitaires
Pour ce qui concerne les centres ci-étudiés, médicaux et polyvalents intégrant de la médecine générale, le mode de financement a évolué en 2016, lors de la signature de l’Accord National des centres de santé, qui alloue désormais une part de rémunération forfaitaire, en contrepartie d’une organisation favorable au travail en équipe et à la qualité des prises en charges. Pour les centres qui sont adhérents, la part des différentes rémunération forfaitaires (Forfaits médecin traitant + Accord National, + Rémunération sur Objectifs de santé Publique) dans le budget global peut désormais se situer entre 20 et 25 %. La partie principale des recettes, de l’ordre de 75 à 80 %, provient de la facturation des soins à l’acte, selon les tarifs conventionnels de l’Assurance Maladie. Ces dernières années, cette évolution a significativement amélioré le financement des centres organisés autour de la médecine générale, et offert la perspective d’un équilibre économique des modèles aux nouveaux porteurs de projets.

Des charges de personnels qui constituent 80 % à 90 % des dépenses
Par ailleurs, les centres de santé organisent des offres de services, centrées sur les activités de personnels compétents. De ce fait, les dépenses de fonctionnement et de consommables sont relativement faibles (de l’ordre de 10 à 20 %), tandis que les charges de personnels représentent le poste de dépenses principal, c’est-à-dire entre 80 et 90 % du budget de fonctionnement.

Peu de marges en matière de volumes d’activité et de tarifs
D’après ces éléments, on voit que les modèles et les possibilités d’équilibrer les budgets reposent majoritairement en recettes sur les volumes d’activité réalisés et facturés et, en dépenses, sur la maitrise des niveaux de rémunération des personnels. Dans la partie recettes, les volumes facturés sont eux-mêmes conditionnés par le nombre de soignants qui les réalisent et composent les équipes, ainsi que par les durées des consultations et des soins, qui conditionnent enfin la qualité des soins et les conditions de travail de l’équipe. En France, en médecine générale par exemple, la durée moyenne d’un rendez-vous est d’environ 19 minutes (Drees, Doctolib 2020). Cette durée relativement stable à travers le temps, confirme que les marges en matière de volume d’activité réalisé sont également contraintes.

L’obligation de proposer des salaires attractifs, malgré les difficultés à trouver l’équilibre
Du côté des dépenses, la rémunération des soignants constitue donc un sujet central dans la conception des modèles économiques. Mais là aussi, le contexte démographique médical critique, le besoin d’équité de traitement salarial à travers les différents secteurs des soins, et surtout l’impératif territorial d’attirer des recrues, réduisent ces dernières années les marges de fixation des niveaux de salaires des porteurs de projets. »

Dans le rapport 2, la majorité des centres de l’échantillon étudié ont moins de 3 ans d'existence et ne sont pas à l'équilibre financier.

2.2 - Ratios relatifs aux dépenses d’un centre de santé

Le rapport 2 donne un ratio de budget par temps plein médical (frais de personnel et charges de fonctionnement) de 130 000 € à 150 000 €. Par comparaison, les ratios des centres de santé du zoom sont un peu plus élevés (cela peut s’expliquer par l’ancienneté des ratios du rapport 2) :

  • Batz sur Mer : 150 à 170 000 €
  • Plérin : 180 000 €
  • Saint Brévin : 110 à 130 000 €
  • Saint Quay Portrieux : 140 à 170 000 €

Les rapports 1 et 2 indiquent des salaires moyens des médecins de 65 000 € à 78 000 € bruts par an, rarement en dessous des échelons 6 ou 7 de la grille indiciaire des praticiens hospitaliers. Par comparaison, les ratios des centres de santé du zoom sont un peu plus élevés (cela peut s’expliquer par l’ancienneté des ratios du rapport 2) :

  • Batz sur Mer : 82 à 89 000 € bruts par an
  • Plérin : 74 à 82 000 € bruts par an
  • Saint Brévin : 62 à 70 000 € bruts par an
  • Saint Quay Portrieux : 71 à 83 000 € bruts par an

Le rapport 2 indique que la rémunération forfaitaire de l’Accord National constitue un élément prépondérant du financement des centres de santé et que le ratio moyen de cette rémunération forfaitaire de l'accord national est de 65 000 € par an pour 3 médecins. Les financements de droit commun des centres de santé, donc non compris les financements incitatifs à l’installation de médecins dans des zones prioritaires, sont les suivants :

Tableau financements

On peut reconstituer la décomposition des financements CPAM des budgets des centres de santé du zoom comme suit (en prenant les ratios ci-dessus pour le dispositif Teulade, le forfait patientèle et le ROSP et en en déduisant le montant du forfait accord national) :

Tableau decomposition par cms

Les comptes de Saint Quay Portrieux et Batz sur Mer sont cohérents avec les données nationales. Celles de Plérin affichent des recettes CPAM plus faibles que ces données. Celles de Saint Brévin sont incohérentes avec ces données nationales.

2.3 - Ratios relatifs aux recettes d'un centre de santé

Les nombres de consultations par heure (c/h) des centres de santé sont 3 à 4 c/h en soins programmés allant jusqu’à 6 c/h en soins non programmés pour le rapport 1 et de 2.2 à 4 c/h pour le rapport 2. Ces ratios des centres de santé sont supérieurs à ceux des médecins libéraux qui sont de 3,15 c/h (source DREES, Doctolib) ou 3,72 c/h (source CartoSanté).

Les nombres de consultations par médecin et par an (c/an) relevé par le rapport 1 sont de 4 220 c/an pour tous les centres et de 4 533 c/an pour les centres en équilibre financiers. Ces ratios des centres de santé sont inférieurs à ceux des médecins libéraux qui sont de 5 000 c/an (source Revue du généraliste – étude IQVIA) pour 224 jours travaillés par an.

En moyenne, un médecin salarié aux 35 heures par semaine travaille moins longtemps qu'un médecin libéral mais compense partiellement en faisant des consultations plus courtes.

Les taux de rendez-vous non honorés que le rapport 1 a pu relever dans 3 centres de santé, s’établissent à 8 %, 15 % et 21 %. Le rapport 1 estime ainsi le taux de remplissage moyen des vacations offertes à 80 %. Par ailleurs, le taux de rejet, c’est à dire de paiement en tiers payant refusé par la Sécurité Sociale ou par une mutuelle, parce que la situation du patient n’est pas en règle, est en moyenne de 10 % d’après le rapport 1. Il est donc difficile de déduire du nombre de consultations le montant d’honoraires effectivement encaissés en moyenne par médecin et par an.

En prenant pour hypothèse que les nombres de consultations ci-dessus sont nets des rendez-vous non honorés et des rejets, on peut estimer le montant d’honoraires généré en moyenne par médecin et par an (sur la base de 25 € par consultation), non compris les rémunérations forfaitaires versées en sus par la CPAM, à 105 500 €/an pour tous les centres et à 113 325 €/an pour les centres en équilibre financiers. Ces ratios des centres de santé sont inférieurs à ceux des médecins libéraux qui sont de 125 000 €/an

Par comparaison, les ratios des centres de santé étudiés dans le zoom sont les suivants :

  • Batz sur Mer : 100 à 120 000 €
  • Plérin : 75 à 80 000 €
  • Saint Brévin : 60 à 100 000 €
  • Saint Quay Portrieux : 80 à 90 000 €

Il y a donc de gros écarts de « productivité » observés, entre médecins libéraux et centres de santé et entre centres de santé.

2.4 - Eclairages complémentaires de la Cour des Comptes sur les centres de santé

Le rapport public annuel de mars 2023 de la Cour des Comptes, consacré à un bilan de la décentralisation 40 après, comporte un chapitre intitulé « Mieux coordonner et hiérarchiser les interventions des collectivités territoriales dans l’accès aux soins de premier recours ». La Cour des Comptes a développé son analyse dans son rapport thématique de mai 2024 relatif à l’organisation territoriale des soins de premier secours. Quelques éléments d’analyse des centres de santé portés par des collectivités territoriales sont repris ci-dessous.

Le rapport de 2023 mentionne que l’Etat souligne l’intérêt des centres de santé porté par des collectivités locales dans les déserts médicaux et que l’Assurance Maladie les soutient financièrement, cf. extrait page 528 :
« Les Pactes santé territoire ou le plan d’actions qui leur a succédé (dispositif du ministère de la santé) soulignent l’intérêt de ces centres (les centres de santé) dans des zones où les difficultés d’accès aux soins sont telles qu’elles découragent l’installation de professionnels libéraux, même aidés. L’État n’intervient ni directement, ni, sauf exceptions, indirectement dans la création de ces centres : il laisse les collectivités créer des centres ou, parfois, soutenir la création de centres par des organismes privés non lucratifs, dans les territoires qui connaissent des difficultés prononcées d’accès aux soins. Il s’efforce, en amont, de favoriser leur création, en particulier celle des centres médicaux et polyvalents, et l’Assurance Maladie soutient en aval leur fonctionnement sur le plan financier.

Ce rapport de 2023 estime que les « centres de santé gérés par les collectivités territoriales sont parfois une option parfois mal maîtrisée par celles-ci, cf. extraits page 534 et suivantes :

« Dans des contextes territoriaux où la densité en médecins libéraux est très dégradée, le recours au salariat, notamment grâce à des centres de santé gérés en régie, peut être une solution. Ces centres, qui regroupent des professionnels salariés et sont soumis à un régime juridique particulier (les dépassements tarifaires y sont exclus, ils doivent s’ouvrir aux publics vulnérables, etc.) peuvent en effet constituer un « modèle » économique et sanitaire, en théorie et même en pratique. Les constats des chambres régionales des comptes mettent cependant en évidence le risque d’absence de maîtrise suffisante des coûts. » …..

« Un modèle potentiellement utile mais exigeant » ……

« Le recours à des centres de santé territoriaux se développe, comme une solution adaptée dans les zones marquées de facto par une déprise des médecins généralistes ou spécialistes, mais ce modèle peine à s’équilibrer ». …. « L’exemple de Vierzon montre pourtant que ce modèle est viable ». ….. « En indexant la rémunération des praticiens sur leur niveau d’activité, le centre a dégagé des excédents dès sa première année de fonctionnement ».

Le rapport thématique de mai 2024 précise :
« Contestée par certains conseils de l’ordre des médecins, la possibilité d’une rémunération mixte a été admise par la jurisprudence, dès lors que la part liée à l’activité ne dépasse pas la moitié du revenu des praticiens. .....Pour ce motif, d’ailleurs, les juridictions financières ont émis le souhait que soit clarifiée, à la lumière de cette jurisprudence, la possibilité d’une telle rémunération mixte pour les médecins et que puissent être ajustées les règles qui régissent leur emploi. »

Autres extraits du rapport de 2023 :
« Une efficacité atteinte, parfois, au détriment de l’efficience : l’exemple du centre de santé multisites de Saône et Loire ». ….. « En 2021, les quelques 100 000 consultations facturées par les 42,4 ETP médicaux ont représenté seulement 11,4 actes par jour et par ETP. Le coût moyen de fonctionnement du CSD par consultation s’est réduit mais le reste à charge du département par consultation (une fois déduit le remboursement de l’Assurance Maladie) demeure élevé, à 30,30 € en 2021. Contrairement au GIP de Vierzon, la rémunération des médecins du centre de santé est fixe et ne varie pas en fonction de l’activité réalisée. Par ailleurs, les ratios d’administration des six centres territoriaux sont élevés, même supérieurs à 1 s’agissant de ceux du Creusot et d’Autun, centres en cours de montée en charge il est vrai. »

« Des exemples de déploiement ni efficaces ni efficients : Châteaudun (Eure-et-Loir). « La vocation sociale du centre, implanté dans un quartier de politique de la ville, ne justifie pas la faiblesse de son activité et son coût : en ajoutant les annuités d’emprunt, chaque consultation coûte à la commune, en moyenne, 13 € en sus du remboursement et des forfaits de l’Assurance Maladie. Le nombre de consultations par jour d’ouverture, en moyenne une cinquantaine en 2020 pour cinq médecins, soit dix par praticien, reste globalement faible. »